Le « Tiers » et le Groupe
Responsable : André SIROTA
Argument :
« L’individu (…) mène une double existence : en tant qu’il est à lui-même sa propre fin, et en tant que maillon d’une chaîne à laquelle il est assujetti contre sa volonté ou du moins sans l’intervention de celle-ci. » (Freud, 1914)1.
1 Freud, S. 1914. Pour introduire le narcissisme, La vie sexuelle. Paris, PUF, 1969, p. 85.
2 Kaes R. 1987. Le malaise du monde moderne et l’expérience transitionnelle du groupe, Revue de psychothérapie psychanalytique de groupe, 7-8, p.153.
3 Winnicott,D. W. 1951. Objets transitionnels et phénomènes transitionnels, De la pédiatrie à la psychanalyse. Paris Payot, 1969, p. 183.
4 Sirota A. 1998. Des espaces culturels intermédiaires, la scène sociale, Revue internationale de psychosociologie, 9, p. 91-107.
5 Falla W. & Sirota A. 2012. Être et faire avec les autres, Faire équipe, Nouvelle Revue de Psychosociologie, érès, N° 14, p. 175-191.
En soulignant d’autres dimensions de l’existence, je propose un complément à cette pensée freudienne ; l’individu mène une autre double existence, en effet, puisqu’il est un être unique et original toujours en devenir en tant que sujet socio-historique par la médiation de son récit familial intériorisé et en même temps maillon d’une chaîne de groupes emboités actuels à laquelle il est assujetti.
Cette autre double existence fait de lui un sujet original pensant et souffrant en même temps que sujet social et politique, et à ce titre coauteur, malgré lui, de ce qui advient dans le monde, il peut devenir actif s’il se déprend en pensant avec d’autres, par le travail de culture et d’affiliation délibérée, accédant ainsi pleinement au tragique et au sublime de la condition humaine et de la sienne propre, oscillant, sous l’effet de la dualité pulsionnelle, entre création et destruction.
C’est ce que souligne René Kaës (1987)2. « Comme toute modernité, notre modernité est essentiellement la culture que nous élaborons à partir des ruptures que nous avons à vivre avec les générations qui nous ont précédés », si, tout en restant en continuité avec eux mais autrement re-liés par une affiliation active et non soumise, nous voulons vivre avec notre époque et agir de façon appropriée en relation avec nos contemporains, notre environnement. Selon Winnicott (1951)3, l’individu est animé par tension énigmatique suscitée par la mise en relation de la réalité du dedans avec la réalité du dehors, dont on ne se libère jamais complètement. Quand cette tension se fait ressentir un peu plus qu’à l’habitude, c’est sans doute qu’une mise en turbulence interne inconnue ou insoupçonnée advient. Elle est source de données qui poussent à ce travail incessant entre ce qui se conçoit subjectivement et ce qui se conçoit objectivement rendant possible le processus de pensée de l’effort d’objectivation.
La complexification continue du monde comme la découverte incessante de la complexité interne à la vie psychique, avec l’énigme des rapports soi/non-soi et des processus d’internalisation comme d’expulsion hors de soi font que penser les choses de la vie ne peut se faire sans des instances spécifiques, ou espaces culturels intermédiaires4 et la participation de tiers externes pour garantir les conditions du travail de culture ou de penser.
Parfois, des équipes instituées font appel à des psychanalystes de groupe. Ceux-ci proposent évidemment la création de lieux spécifiquement voués à parler et penser avec les autres. Pour qu’un groupe investisse cet espace, c’est la qualité de présence de l’analyste qui l’accompagne, qui permet au groupe de l’investir comme « tiers ».
Quels sont les types d’investissements réciproques originaux qui font sortir de l’immobilité et des impasses psychiques et sociales où se tiennent parfois une équipe et ses membres, une institution, du fait d’un imaginaire prescrit des relations de travail ? Qu’est-ce qui est possible ou pas, selon que l’analyste sollicité est extérieur ou intérieur à l’organisation ? Quel est le travail d’écoute et de parole d’un tiers externe invité auprès d’une équipe dont chacun des membres dit avoir pour exigence partagée d’être et de faire avec les autres et non sans les autres, voire contre les autre ? (Falla & Sirota, 2012)5
S’intéresser aux ensembles sociaux emboîtés et aux projections dans les instances des mondes externes de quelque chose des mondes individuels internes est un impératif pour la psychanalyse et ses développements dédiés au sujet, le sujet inconscient certes, mais aussi au sujet du groupe, au sujet en relation, au Soi et au Non-soi, au sujet considéré avec son environnement comme le souligne Winnicott, tant nous savons que la qualité de présence d’un « soignant », psychanalyste ou pas, dépend de ce qui circule entre les ensembles sociaux ou groupaux emboîtés, entre les sujets qui s’y engagent, de leurs capacités à être en contact avec leur intimité et à en dire quelque chose en adressant leurs paroles à quelqu’un et à plus d’un autre en même temps.
Quels sont les dispositifs et les règles du jeu propices à un tel travail culturel utile à l’augmentation du territoire psychique (Nathalie Zaltzman) de chacun dans des mouvements en relation avec les autres, afin que cette tiercéité puisse être créée-trouvée, que l’analyste puisse être investi comme tel avec le groupe, et afin que l’existence de cette instanciation produise les conditions d’une efficacité symbolique ? Ce qui suppose qu’elle soit à la fois garantie et laissée « vide ».
Quels sont les présupposés théoriques et, bien sûr, les valeurs éthiques qui autorisent à se risquer et à se nommer soi-même comme « tiers » ? De quelles parts de rêve d’un nécessaire dépassement heureux et héroïque, cette instanciation le la tiercéité dépend-elle ? Sur quelle nécessaire et périlleuse illusion, sur quelle idéalisation prend- elle appui ? Une avancée peut être observée quand, par exemple, l’individu découvre que sa liberté intérieure et sa liberté extérieure augmentent quand ces deux libertés consubstantielles augmentent pour les autres aussi.
Qu’est-ce qu’exige de celui qui la prend, cette responsabilité clinique — si enviée, si complexe ou si obscure — auprès des autres ?
Quelles parts contre-transférentielles sont mobilisées ? A quelles résonances entre narcissisme de mort et narcissisme de vie (André Green) est-on renvoyé dans un tel contexte et pour un tel travail, tant du côté des participants que du côté de l’analyste ?
Ce groupe de travail et de recherche de la SFPPG a l’ambition de faire avancer ces questionnements.
La méthode de travail de base :
– Lors de chaque début de réunion du groupe de travail et de recherche, nous commençons par échanger sur les textes écrits par un ou deux membres du groupe à partir de ce qu’elles ou qu’ils ont perçu ou ressenti au cours des échanges de la séance précédente. Ce texte est adressé aux participants une semaine ou quelques jours avant la réunion concernée.
– Puis, nous travaillons sur un texte écrit par un membre du groupe — ou co-écrit — quel que soit le centre de gravité de ce texte, qu’il soit, par exemple, une partie d’un travail de thèse ou bien un écrit relatif à une ou des situations de prise de responsabilité de « tiers » auprès de groupes. Ce texte est adressé aux participants huit jours avant la date de réunion concernée.
– Chaque participant assure périodiquement une restitution à l’aide d’un texte rédigé après-coup, se situant sur un registre ou un autre. Il n’y a pas de bonne forme indiquée. C’est une restitution « libre ». L’écrit est envoyé à tous les participants quelques jours au moins avant la séance suivante.
– En principe, l’engagement à présenter une situation ou une élaboration est pris antérieurement et non le jour même où l’on en parle et donne lieu à une préparation personnelle.
– Des textes publiés sont proposés à la lecture de chacun.
– Bien sûr, ce qui est relaté, évoquant des noms d’institution et de personnes appartient à celle ou celui qui le dit et à personne d’autre. Cela va de soi, mais cela va mieux en le disant. Prononcer des noms n’est pas nécessairement utile au travail d’analyse et d’élaboration, mais ce peut l’être aussi. Cette règle de discrétion est donc importante.
Composition du groupe :
Après le congrès des 50 ans de la SFPPG (mars 2013) et le 1er Congrès International de la Psychologie en Océanie (nov. 2013) organisé par le Collège des Psychologues de Nouvelle Calédonie le Groupe de travail et de recherche du Centre Georges Devereux, qui a pour nom « Clinique de la multiplicité » animé par Lucien Hounkpatin et le groupe de la SFPPG qui a pour nom, « Le tiers et le groupe » ont décidé de travailler ensemble. La partie du groupe de recherche et de travail de la SFPPG accueille des membres et des non membres de la SFPPG. Le groupe compte actuellement 21 participants.
Périodicité, jour et horaire
Le groupe est réuni environ une fois par mois environ,
Le lundi soir de 19h30 à 22h.
Lieu des réunions :
Consultation du Centre Georges Devereux 5, rue Clauzel 75009 – Paris, dans les locaux du 3e Intersecteur Infanto-Juvénile de l’Établissement Public de Santé de Hôpital de Maison Blanche – « l’Espace Ados » (Ligne 12, Saint-Georges ou Notre-Dame de Lorette ; la ligne 7, station Le Pelletier et marche à pieds)
Les dates : à contacter les responsables
Pour pendre contact écrire à :
Lucien Hounkpatin, odide9@gmail.com
ou André Sirota, a.sirota@orange.fr